dimanche 28 juin 2009

Chacun cherche son toit



"Paris Montparnasse, terminus du train, tous les voyageurs sont invités à descendre".


La Capitale.
C'est désormais ici que tu travailles.
C'est désormais ici que tu vas devoir te loger.

Première étape : la constitution du dossier. Celui-ci doit comporter au minimum : tes 49 derniers bulletins de salaire, accompagnés de tes 18 derniers avis d'imposition ; tes quittances de loyer sur les 14 années et les 9 logements précédents ; une bonne demi-douzaine de RIB et de photocopies de tes carte d'identité - passeport - permis de conduire - carte d'étudiant - de cantine - de fidélité à Carrefour (de préférence Carrefour) ; ton carnet de santé et de vaccinations, tes bulletins scolaires du CP à la maîtrise, une radiographie de tes dents et un certificat de bonne conduite signé par la Baronne de Rothschild herself.

Ne pas oublier de renouveler l'opération pour les garants.

C'est donc la démarche quelque peu alourdie par tes 7,2 kg de paperasse que tu te traînes à ta première visite.

L'annonce disait : "A louer, studio de 20 m2 sur cour, entièrement refait à neuf, poutres apparentes, SDB, lumineux, libre de suite. Visites de 18h à 18h30."

Tu ne comprends pas tout de suite ce qu'attendent exactement les 50 personnes postées en bas de l'immeuble. Ni ce qu'elles font toutes avec le dernier numéro du PAP sous un bras et un dossier (de 7,2 kg environ) sous l'autre.

Qu'importe, tu patientes. Longtemps.

La porte de l'immeuble s'ouvre et avale une nouvelle fournée de candidats . Miracle, tu es dedans. Bel immeuble haussmannien , grandes marches en bois, tapis rouge, baguettes dorées, moulures : le propriétaire ne tarit pas d'éloges sur la cage d'escalier (justifiant au passage les 150 euros de charges mensuelles).

Sept étages plus haut, le groupe s'arrête devant une porte miniature. Roulements de tambour. Tout le monde retient son souffle (propos totalement inexact par ailleurs car si tu as été bien attentif, tu as pu noter "grandes marches en bois" + "sept étages plus haut", cqfd...).

La porte s'ouvre.
Et tu apprends instantanément une nouvelle langue : la langue immobilière.

Petit exercice de traduction immobilier-français :
  • "Studio de 20 m2" : tu dois d'abord savoir qu'il existe quatre catégories de placards : la chambre (légalement pas en-dessous de 9 m2), la studinette, la studette et le studio. Pour ces trois derniers, il n'y a d'autre norme que l'honnêteté du propriétaire. (Honnêteté. Propriétaire. Passons...) Celui-ci a par exemple oublié de mentionner que sur 20 m2, 10 étaient inutilisables car en sous-pente.
  • "Sur cour" : sur mur serait plus approprié. En tendant un peu le bras, tu peux en effet te rendre utile et éteindre le feu sous la casserole du voisin d'en face, qui menace de déborder (la casserole, pas le voisin).
  • "Entièrement refait à neuf" : le studio a effectivement été refait à neuf. Il y a vingt ans.
  • "Poutres apparentes" : non, oui, un peu plus à gauche, un poil vers la droite, voilà. Comment ça, c'est un petit bout de bois de 10 cm sur 15? Une poutre apparente, Msieur Dame, que j'vous dis.
  • "Salle de bain" : au début on ne voit qu'une planche. Mais force est de constater l'ingéniosité du concept : le WC / douche. Sans la planche, ce sont des toilettes à la turque. Avec la planche (et le tuyau situé au-dessus), les toilettes turques se transforment en douche, alliant optimisation de l'espace et gain de temps non négligeable.
  • "Lumineux" : tu disposes en effet d'une micro-fenêtre sur mur, le tout est d'ailleurs tellement éblouissant que tu en aurais la larme à l'oeil...

Après traduction, nous obtenons donc l'annonce suivante :

"A louer, studinette de 10m2 habitables, sur mur, entièrement refaite à neuf en 1988, petit bout de bois apparent, toilettes-turques modulables en douche, très sombre mais disposant d'une ouverture de survie. Libre vraiment tout de suite, là maintenant."

Parce que contre toute attente, plusieurs personnes sautillent déjà sur place en agitant fébrilement leur dossier sous le nez du propriétaire ravi, qui s'empresse d'ajouter : "Dépêchez-vous, il va partir vite!!" Et moi donc...

Un mois et une trentaine de déconvenues plus tard ("650 € pour 12 m2, mais il est très mignon je vous assure", "oui certes C'EST UN PEU BRUYANT", "10 minutes à pied du métro. 40 minutes? Vous n'êtes pas passée par le bon chemin!", "Vous gagnez bien 8 fois le montant du loyer? Non, je vous demande vos revenus mensuels, pas annuels"), toi aussi tu sautilleras en agitant tes 7,2 kg de dossier sous le nez d'un propriétaire quelconque, pour une studinette quelconque au fond d'une banlieue tout aussi quelconque.

Après tout, c'est juste provisoire, non?





lundi 22 juin 2009

Les expériences professionnelles et moi, épisode 4 : la figurante au Salon du Livre



A force de naviguer à vue sur le vaste mais houleux marché de l'emploi, tu as fini par mettre le cap sur une orientation professionnelle : les métiers du Livre.

Félicitations, moussaillon.

Pour arriver à bon port, tu suis désormais une formation spécialisée, qui te laisse le choix entre trois grands domaines : l'édition, la librairie et les bibliothèques. Et aujourd'hui s'offre justement à toi l'opportunité de lorgner du côté du premier domaine, en travaillant pendant toute la durée du Salon du Livre sur le stand des éditions Grasset.

C'est donc Porte de Versailles que tu jettes l'ancre en ce mois de mars, gibouleux comme un mois de mars (si tu ne me crois pas, va vérifier dans le dictionnaire).
Entre le montage des stands et le déballage des bouquins, tu files t'acheter une tenue décente pour le grand événement du Salon : la Soirée d'inauguration. (Je précise pour les non-affranchis : soirée d'inauguration = soirée réservée aux gens du Milieu. Tu auras reconnu au passage l'imitation saisissante d'Al Pacino.)

Vêtue de ton plus beau pantalon H&M et de TA paire de chaussures à talons (qui soulignent ta classe folle et ton élégance naturelle), tu prends la pose et ton poste au coin avant-gauche du stand, chargée d'une mission suprême : la lutte contre le vol.

(Petit apparté ludico-pédagogique : remplace "la pose" par "racine", et tu auras une vision plus juste de ce qui t'attend cette semaine.)

Des vols pendant la Soirée d'inauguration? Oui moussaillon, c'est même le jour où il y en a le plus : auteurs et éditeurs sont restés de grands enfants et n'aiment rien tant que se piller les uns les autres. La recette est simple : prends quelques centaines de litres de champagne, saupoudre d'un zeste de cocaïne, ajoute quelques histoires de fesses à base d'attachées de presse, verse une bonne dose de courbettes et autres mondanités, secoue pendant quatre heures : tu obtiens une formidâââble Soirée d'inauguration du Salon du Livre.

Le deuxième temps fort de la semaine, c'est la venue sur ton stand d'une véritable star, le philosophe à la sempiternelle chemise blanche, j'ai nommé : BHL.
Mais la menace-guette-le-danger-qui-menace-entends-tu-au-loin : en raison de sa récente prise de position en faveur des caricatures de Mahomet, Grasset (dont les éditeurs n'ont pourtant rien picolé depuis trois bonnes heures) redoute une possible attaque d'Al-Quaida. Sur BHL. Si si.

Branle-bas de combat donc pour préparer la signature de son dernier essai : on déplace les meubles (à ce stade du Salon, tu t'inclues dedans) afin de garantir une surveillance plus étroite et par conséquent une meilleure protection à la potentielle cible.

Or pourtant, s'il est un ennemi de BHL, c'est bien la crème Chantilly. (Mais bon, moi j'dis ça, j'dis rien.)

Enfin le Prince arrive, tout de chemise blanche entrouverte sur torse imberbe vêtu, prend place dignement, entame sa séance de dédicaces et... se ramasse une tarte à la crème en pleine poire. Dignement.
Le coupable est à terre, plaqué par quatre gorilles déchaînés, tandis qu'un peu plus loin, l'Entarteur belge se bidonne en chantonnant son slogan : "Entartons, entartons, les pompeux cornichons!"

Mais le Cornichon en question n'est pas homme à se laisser humilier, et décide de poursuivre (après avoir échangé sa chemise blanche contre une autre chemise blanche) sa séance de dédicaces.
Le Cornichon se rassied.
Inspire.
Sourit.
Pour finalement reprendre sa signature et une seconde tarte à la crème.

Sur ce, le Cornichon se lève et déclare que c'en est assez. Tu viens d'assister au sixième et septième entartage de BHL, et tu ne peux contenir une pensée émue pour ses gorilles, prêts à combattre Al-Quaida mais terrassés par la Chantilly.

Le reste de la semaine s'écoule au rythme des signatures moins épiques mais tout aussi pathétiques d'un certain nombre d'auteurs, parmi lesquels tu te fais un plaisir de citer :
  • Daniel Picouly : celui-ci acceptera la larme à l'oeil le cadeau d'un admirateur (un livre ancien visiblement chargé de valeur pour ledit admirateur), cadeau qu'il te demandera de jeter le soir venu.
  • Yves Simon : en pleine signature entre une bombe atomique et une grand-mère tremblotante, il demandera (le mot juste est "héler", mais c'est laid. Passons.) à la bombe atomique de revenir avec son livre fraîchement signé pour y ajouter son numéro de portable.
  • Gonzague Saint-Bris : lui n'hésitera pas à passer dix minutes au téléphone devant ses lecteurs impatients (ça leur apprendra à lire du Gonzague Saint-Bris).
  • François Weyergans (fraîchement "goncourtisé") : les éditeurs affolés le chercheront pendant plus d'une demi-heure. Pas d'inquiétude : il s'appliquait juste à prendre la cuite du siècle en compagnie d'une charmante attachée de presse, au bras de laquelle il repartira quelques heures plus tard, sans avoir signé un seul bouquin.
Et tant d'autres...

Alors si toi aussi tu as des préjugés sur le Milieu de l'édition littéraire, si tu es libre fin mars et que tu passes près de la Porte de Versailles, surtout n'hésite pas : tu en ressortiras convaincu qu'une fausse idée peut être vraie.

NB : Petit message à l'attention des éditions Grasset (qui lisent régulièrement ce blog, qu'est-ce que tu crois) : j'aime beaucoup ce que vous faites.



vendredi 19 juin 2009

Les expériences professionnelles et moi, épisode 3 : l'aide-soignante en maison de retraite


Après le Client de la Grande Distribution et l'Automobiliste moustachu, te voilà désormais partie à la rencontre d'une espèce humaine méconnue mais passionnante : le Vieux.

Tu connais probablement déjà le Vieux des Villes, à ne pas confondre avec le Vieux des Champs.
Le Vieux des Villes se trouve généralement dans les transports en commun et pense que les jeunes d'aujourd'hui c'est vraiment plus c'que c'était.
Le Vieux des Champs, quant à lui, est plus fréquemment assis sur le pas de sa porte en bordure de nationale, et regarde passer les voitures en se disant que non vraiment, les jeunes d'aujourd'hui c'est plus c'que c'était.

Mais tu ne sais en revanche pas grand-chose sur le Vieux de maison de retraite.

C'est donc en territoire inconnu que tu poses le pied en ce beau matin de juillet, drapée de ta blouse blanche qui gratte.
(Le contenu de ce billet est susceptible de chiffonner la sensibilité de certains. Non, je ne donnerai pas de noms. Te voilà prévenu).

7h donc. Du matin.

Tu assistes pour la première fois aux "transmissions". Il s'agit grosso modo pour l'équipe de nuit de passer le relais à l'équipe de jour en transmettant (d'où le nom, tu suis, merci pour elle) les événements nocturnes au personnel diurne. Tu apprends ainsi, en luttant pour ne pas t'effondrer sur la table (7h du matin) que Monsieur C. a fait pipi six fois contre seulement deux la nuit passée, et que Madame V. a de nouveau recommencé à déambuler dans les couloirs en exigeant qu'on lui refasse ses papiers immédiatement (comme tous les soirs de pleine lune depuis douze ans).

Tout ceci est un peu obscur. Mais la pratique va très vite se charger d'éclaircir la théorie : la main droite dans un gant et la gauche sous une serviette de bain, te voilà face à ta première "toilette".

Face à un corps.

C'est tout ce que tu vois en entrant dans la chambre : la violence d'un corps nu quatre fois plus âgé que le tien. C'est de l'intimité que tu frottes au bout de ton gant de toilette, des morceaux de pudeur qui coulent dans le lavabo. Et c'est pourtant bien de l'humanité qui résiste dans les regards échangés avec cette personne dont tu ignores jusqu'au nom (elle aussi d'ailleurs a oublié le sien depuis bien longtemps).

Mais trêve de sensiblerie, tu as environ quatre minutes à accorder à chacun, tes collègues veillent au grain et n'hésitent pas à te faire remarquer que tu n'es pas une rapide.
Alors tu savonnes, tu rinces, les vieux, les sols, tu sers les repas, sans sel, sans sucre, tu distribues les médicaments, pour le coeur, le foie, les reins, tu soulèves, tires, portes (on aura bien gardé de te dire que Madame M., bien qu'assise sur une chaise roulante, est tout à fait capable de lever ses 100 kg à ta place ; tu t'en rendras compte un jour en la voyant porter son déambulateur à bout de bras et courir vers la salle à manger).

Tu découvres aussi ce qui se cache sous le nom d'"activité culturelle" en maison de retraite. Le principe est simple :
  1. Réunis 10 vieux autour d'une table.
  2. Demande-leur de te donner des mots commençant par les différentes lettres de l'alphabet.
  3. Choisis au hasard la lettre D et vois ce qui sort.
  4. Tu obtiens par exemple "décheance" et "dentier".
Le jeu dure deux heures, deux heures à l'issue desquelles tu comprends parfaitement le sens du mot "foutage-de-gueule". Avec un F. (Organisé pas l'Etat. Avec un E.)

Tu écoutes, les tripes à l'envers, tes collègues hilares te raconter comme elles ont ri le jour où Monsieur B. s'est étalé sur le sol fraîchement lavé de la cuisine, et comme elles ont ri encore plus à le regarder tenter de se relever, pendant vingt bonnes minutes, pour retomber ventre à terre à chaque fois. "Comme une tortue, si si".

Tu connais maintenant l'odeur de la merde.
Tu peux donc démissionner.
Tu repars simplement avec une question : à quel profondeur se situe le fond de la connerie humaine?





jeudi 11 juin 2009

Les expériences professionnelles et moi, épisode 2 : la pompiste



La Grande Distribution offre une panoplie d'emplois insoupçonnés. C'est ainsi qu'après avoir découvert les méandres du métier de caissière, tu décides de t'attaquer à celui de pompiste.

C'est donc dans cette boîte en plexiglas de 4m2, là-bas tout au bout du parking, que tu vas passer les deux prochains mois. Température intérieure : 40 degrés en moyenne (pas de climatisation, mais tu as cependant le luxe de pouvoir brasser de l'air chaud avec un vieux ventilateur).

Cette fois-ci, ce sont tes collègues pompistes qui assurent ta formation : débloquer les pompes à essence une fois que l'automobiliste t'a réglé son dû, calculer les réserves de carburant, ramasser les poubelles sur le parking le soir, faire ta caisse, gérer les bouteilles de gaz et de cidre (les bouteilles de gaz exigeant un traitement différent des bouteilles de cidre, mais ne nous perdons pas dans les détails), et éventuellement, mais très discrètement, tu pourras aussi faire quelques mots croisés habilement planqués sous la caisse par tes collègues, mais surtout fais toujours attention au PATRON, hein?!

Le voilà justement , le patron, qui vient te demander de modifier les prix du gasoil sur les panneaux géants alignés le long de la route (c'est finalement lui qui le fera, après que tu lui aies fait prendre la mesure des conséquences d'un malheureux mais fort probable accident du travail lié à ton vertige).
Il te précise également une chose fondamentale : si jamais un gang de braqueurs armés jusqu'aux dents fait irruption dans ta boîte en plastique et te réclame instamment la caisse, s'ils ont de surcroît l'air passablement agacé et nerveux, et seulement après avoir patiemment pesé le pour et le contre et jugé qu'ils semblaient avoir la gâchette facile, en dernier recours, lorsque toute tentative de négociation a échoué, alors le patron t'autorise à leur donner la recette de la journée. Soulagement. (Quoiqu'une mort héroïque suivie d'un enterrement aux couleurs d'Intermarché t'aie vaguement traversé l'esprit.)

Deux mois plus tard, tu sais qu'à "butane" et "propane" correspondent les mots "intérieur" et "extérieur", ou inversement. Tu ignores en revanche le nombre d'explosions de maisons dont tu es (in)directement responsable.

Tu as appris à ne plus avoir peur lorsqu'un automobiliste enragé se projette contre les vitres en plexiglas de ta boîte, en hurlant (pendant que tu recomptes vaillamment ta caisse) que "bordel de merde vous allez me rouvrir tout ce bordel tout de suite. Bordel".

Tu parviens à contenir ta nausée quand tu vois arriver le billet de 200 francs coincé dans la bouche du vieux moustachu au volant de sa R5.

Tu as également pu constater que contre toute attente, quand tu allumes une clope entre les pompes à essence et les bouteilles de gaz, il ne se passe rien.

Tu as obtenu confirmation de ton absence de toute logique mathématique lorsque, après moults calculs, tu as fait venir le Monsieur au volant de son gros camion citerne rempli de carburant dans le but de réapprovisonner des cuves elles aussi déjà remplies de carburant. (Tu as d'ailleurs définitivement renoncé à Maths Spé en observant attentivement les visages rouges de colère de Messieurs Citerne et Patron.)

Tu as pu tester ton manque de réactivité le jour où le frein à main du camion stationné près de la pompe n°5 s'est desserré : tu avais à peine levé un sourcil que déjà l'engin venait s'encastrer dans les bouteilles de gaz.

En définitive, tu t'en sors grandie. La Grande Distribution t'a appris qui tu étais, et surtout ce à quoi tu n'étais pas destinée : une carrière de pompiste...


mercredi 10 juin 2009

Les expériences professionnelles et moi, épisode 1 : la caissière



Trois saisons pour trois mousquetaires, mais pas n'importe lesquels : les Mousquetaires de la Distribution.

La Grande Distribution, oui Msieurs Dames, celle qui unit avec altruisme le producteur et le consommateur, et qui va se charger par la même occasion de t'apprendre / t'inculquer la vie professionnelle, toi qui viens de fêter coup sur coup ton Bac, ton permis et tes 18 ans.

Ce matin c'est le grand jour.
Ce matin tu fais ton entrée dans la cour des grands.
Ce matin, pour l'occasion, on t'a demandé d'enfiler ton uniforme. Un T-Shirt Intermarché. Pas à ta taille, mais à celle de Claudette (un beau brin de femme), parce que bon, y en avait plus des neufs et comme Claudette bosse pas aujourd'hui, tu comprends. Tu l'enfiles. Une vilaine police de caractères indique à l'emplacement de tes seins que "la carte de fidélité est arrivée" (jamais tu n'aurais soupçonné que cette simple annonce susciterait tant d'enthousiasme chez tous tes clients moustachus de plus de 60 ans).

Mais avant de te lâcher brutalement au milieu de la jungle, tu bénéficies d'une matinée de formation (car la Grande Distribution prend soin de toi) auprès d'une caissière chevronnée. Pas n'importe laquelle : celle qui totalise le plus d'articles / minute au compteur sur le(s) dernier(s) mois. Celle qui donnerait sa vie pour Intermarché. Celle qui te déteste au premier regard, et qui se fera une joie de te dénoncer à la Caisse Centrale au premier faux pas, faux pas qui en toute logique ne devrait pas se faire attendre.

Te voilà seule. (Pour plus de sécurité, on a posté ta méchante formatrice juste derrière toi.)
Et arrive le premier client. Tu comprendras bientôt que les 500 prochains seront tout aussi pressés, stressés, pointilleux, hautains, râleurs et incorrects que le premier. Tu bafouilles un vague bonjour, tu t'emmêles les pinceaux et les touches, tu lui fais payer 30 balles LE citron, tu dois appeler la Caisse Centrale pour réparer ton erreur, le client s'étouffe de rage, tu transpires dans le T-Shirt de Claudette... Ta vilaine formatrice jubile.

Mais tu vas bientôt apprendre quantité de choses, parmi lesquelles :
  • les boîtes d'asticots vendues pour la pêche contiennent bel et bien des asticots vivants, et quand ladite boîte se casse et répand son contenu grouillant sur ta caisse, tu prends pleinement conscience du mot "solitude" (ce qui fait deux apprentissages en un, note bien)
  • un enfant qui dit "pipi" en se tenant le ventre a déjà trop attendu (si tu faisais plus d'articles / minutes aussi...)
  • les sacs en plastique qui gigotent et referment leurs pinces sur tes doigts s'appellent des crabes dans des sacs en plastique
  • tous les matins, sur Radio Mousquetaire, on diffuse "Merci Patron"
  • le client est joueur : il aime empiler ses courses sur le tapis jusqu'à l'effondrement, il n'aime pas mettre les barres de séparation entre ses courses et celles du voisin (c'est quand même drôlement plus marrant d'attendre que tu aies passé les 20 kg de croquettes pour chien qui ne lui appartiennent pas, ça lui permet ensuite de te hurler dessus le temps que tu appelles la Caisse Centrale : "oui je suis navrée, oui j'aurais dû voir que Monsieur n'a pas une tête à avoir de chien")
  • ce gros truc sans forme s'appelle "gingembre", et son code est 215
  • le tube de l'été est "Sous le vent", interprété en duo (et en boucle) par Céline Dion et Garou

Tu as en effet beaucoup appris.

Tu as oublié une seule chose à la fin de la journée : ton nom.




LA chaussure Ebay : ce qu'il faut savoir



Voilà un moment que tu projettes l'idée folle d'acheter une paire de chaussures. Un moment que tu cherches le moyen de procéder à cet achat pas franchement utile tout en gardant ta conscience au sec. Ou au frais, c'est selon.

Ce moyen s'appelle EBAY. Bien sûr!
Avec Ebay :
  1. Tu achètes virtuellement (si si) donc tu dépenses virtuellement (mais si)
  2. Tu achètes ludique ( "c'est marrant ces enchères, tiens, un porte-brosse à dents hippocampe, j'en avais pas, pis ça coûte rien, AH un nouvel enchérisseur, nan mais attends je vais quand même pas me faire griller pour un porte-brosse à dents hippocampe à la con, je surenchéris, lui aussi le bougre, je VEUX ce porte-brosse à dents hippocampe, je l'aurai je l'aurai... Je l'ai. 17, 50 €. Drôlement chouette, ce porte-brosse à dents." )
Donc tu as trouvé le moyen de parvenir à tes fins : LA chaussure.
Et elle est là, parfaite, neuve, pas chère. Couleur bronze, montante, taille 39. "Achat immédiat" : GO JOHNNY GO!!!!

Commence alors la longue attente du colis, que tu retrouves un matin, ô miracle, délicatement déposé sur ta table de cuisine (joies de la colocation).
Tu t'approches, tu flaires le paquet, tu le tournes et le retournes, et tu finis par l'ouvrir à coups de dents parce que merde, la patience a des limites, faut pas déconner.

La joie t'envahit, tu as huit ans, c'est le matin de Noël, tes chaussures brillent, tu sautes dedans, elles te vont, tu fais cinq fois le tour de ton appartement (si tu habites Paris, ça t'aura pris 14 bonnes secondes) munie, que dis-je, armée, de ton pyjama et de tes pompes du Cosmos.

L'heure est venue d'aller travailler. (bon, si tu es fonctionnaire, disons que l'heure est venue d'aller montrer tes nouvelles chaussures à tes collègues de travail.)
Oui oui, tu le sais, elles sont jolies, oui oui merci, non non une affaire, une misère sur Ebay, oui oui neuves. (Tu auras bien sûr pris garde d'afficher ton air négligent de celle à qui on ne la fait pas.)

Bon d'accord, il y a comme un petit quelque chose, un petit rien c'est sûr, qui t'agace le talon gauche. Tu regardes discrètement sous la table de réunion, tu auscultes le fond de ta chaussure Ebay : rien. Tu mets la main dedans, tu gratouilles (toujours négligemment, cela va sans dire) l'intérieur de ta chaussure Ebay : tu sens vaguement une petite aspérité. Attitude adoptée : le déni.

Ta journée se poursuit, tu marches, tu cours, et ce petit rien au fond de ta chaussure commence sérieusement à t'entailler le talon.

Puis vient le soir.

Bizarrement, tu n'as pas pas du tout envie de dormir avec tes chaussures-neuves-du-Cosmos-qui-brillent.

Bizarrement, tu as l'impression d'avoir un petit couteau rouillé (négligemment) planté dans ton talon gauche.

Et tout aussi bizarrement, quand tu enlèves la semelle de ta chaussure Ebay-neuve-du-Cosmos-qui-brille, tu découvres, ô surprise, deux tiges en fer. Qui brillent. Et qui narguent les deux trous parfaitement symétriques qu'elles viennent de forer dans ton talon.

Car voilà ce qu'il faut que tu saches, toi qui t'apprêtes à commettre l'irréparable : LA chaussure Ebay PIQUE.
Et je te le dis (négligemment) du fond du coeur : deux heures d'attente chez le médecin et un vaccin contre le tétanos plus tard, la chaussure Ebay pique toujours.

P.S : Bilan :
  1. 40 € la chaussure Ebay + 22 € la consultation chez le médecin
  2. le charmant surnom de "Pied-Bot Troué" et un léger sentiment de... comment dit-on déjà? Ridicule?