jeudi 1 octobre 2009

La Horde du Contrevent

"De mon passé de rafale, je n'ai jamais cherché à dégravoyer le lit. Mes souvenirs sont faits d'épaisseur, de vents et de poussière. Je coule, j'avance à pas élastiques, délardé comme une pierre, étréci jusqu'au dense, jusqu'à l'axe.
Avant même de naître, je crois que nous marchions. Nous étions déjà debout, la horde entière étalée en arc, déjà fermes sur nos fémurs et nous avancions avec nos carcasses raclées et nos côtes nues, les rotules rouillées de sable, à griffer le roc avec nos tarses. Nous avons marché longtemps ainsi, tous ensemble, à chercher la première de toutes nos prairies. Nous n'avons jamais eu de parents : c'est le vent qui nous a faits. Nous sommes apparus doucement au milieu de la friche armée des hauts plateaux, à grandes truellées de terre voltigée pris dans nos ossements, par l'accumulation des copeaux de fleurs, dit-on aussi, sur cette surface qui allait devenir notre peau. De cette terre sont faits nos yeux et de coquelicots nos lèvres, nos chevelures se teintent de l'orge cueilli tête nue et des graminées attirées par nos fronts. Si vous touchez les seins d'Oroshi, vous sentez qu'ils sortent du choc des fruits sur son torse, et mûrissent toute une vie.

Ainsi en est-il des animaux et des arbres, de tout ce qui est : seuls naissent vraiment les squelettes, seuls ont une chance ceux qui se dressent au-dessus de leur paquet d'os et de bois, en quête d'une chair, en quête d'une écorce et d'un cuir, de leur pulpe, en quête d'une matière qui puisse, en les traversant, les remplir."

"La Horde du Contrevent", Alain Damasio

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2 commentaires:

  1. Après coup j'ai regretté de ne pas avoir relevé certains passages aussi...
    j'adore celui-ci, proche de la fin, pour son rythme :
    "C'est l'heure où les têtes sont pleines de vent le cœur ne bat plus que pour le pas qui suit il est lavé de tout rêve de tout amour il n'en veut à personne n'espère ni n'attend rien il bat pour le sang le sang pour les muscles les muscles pour le pas et le pas pour le pas qui suit qui suivra les jambes charrient de la braise dans la pente les huit silhouettes ondoient la nuque courbée le front posé contre le feu du vent comme pour s'y appuyer y trouver une assise ou un repos"

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