vendredi 19 juin 2009

Les expériences professionnelles et moi, épisode 3 : l'aide-soignante en maison de retraite


Après le Client de la Grande Distribution et l'Automobiliste moustachu, te voilà désormais partie à la rencontre d'une espèce humaine méconnue mais passionnante : le Vieux.

Tu connais probablement déjà le Vieux des Villes, à ne pas confondre avec le Vieux des Champs.
Le Vieux des Villes se trouve généralement dans les transports en commun et pense que les jeunes d'aujourd'hui c'est vraiment plus c'que c'était.
Le Vieux des Champs, quant à lui, est plus fréquemment assis sur le pas de sa porte en bordure de nationale, et regarde passer les voitures en se disant que non vraiment, les jeunes d'aujourd'hui c'est plus c'que c'était.

Mais tu ne sais en revanche pas grand-chose sur le Vieux de maison de retraite.

C'est donc en territoire inconnu que tu poses le pied en ce beau matin de juillet, drapée de ta blouse blanche qui gratte.
(Le contenu de ce billet est susceptible de chiffonner la sensibilité de certains. Non, je ne donnerai pas de noms. Te voilà prévenu).

7h donc. Du matin.

Tu assistes pour la première fois aux "transmissions". Il s'agit grosso modo pour l'équipe de nuit de passer le relais à l'équipe de jour en transmettant (d'où le nom, tu suis, merci pour elle) les événements nocturnes au personnel diurne. Tu apprends ainsi, en luttant pour ne pas t'effondrer sur la table (7h du matin) que Monsieur C. a fait pipi six fois contre seulement deux la nuit passée, et que Madame V. a de nouveau recommencé à déambuler dans les couloirs en exigeant qu'on lui refasse ses papiers immédiatement (comme tous les soirs de pleine lune depuis douze ans).

Tout ceci est un peu obscur. Mais la pratique va très vite se charger d'éclaircir la théorie : la main droite dans un gant et la gauche sous une serviette de bain, te voilà face à ta première "toilette".

Face à un corps.

C'est tout ce que tu vois en entrant dans la chambre : la violence d'un corps nu quatre fois plus âgé que le tien. C'est de l'intimité que tu frottes au bout de ton gant de toilette, des morceaux de pudeur qui coulent dans le lavabo. Et c'est pourtant bien de l'humanité qui résiste dans les regards échangés avec cette personne dont tu ignores jusqu'au nom (elle aussi d'ailleurs a oublié le sien depuis bien longtemps).

Mais trêve de sensiblerie, tu as environ quatre minutes à accorder à chacun, tes collègues veillent au grain et n'hésitent pas à te faire remarquer que tu n'es pas une rapide.
Alors tu savonnes, tu rinces, les vieux, les sols, tu sers les repas, sans sel, sans sucre, tu distribues les médicaments, pour le coeur, le foie, les reins, tu soulèves, tires, portes (on aura bien gardé de te dire que Madame M., bien qu'assise sur une chaise roulante, est tout à fait capable de lever ses 100 kg à ta place ; tu t'en rendras compte un jour en la voyant porter son déambulateur à bout de bras et courir vers la salle à manger).

Tu découvres aussi ce qui se cache sous le nom d'"activité culturelle" en maison de retraite. Le principe est simple :
  1. Réunis 10 vieux autour d'une table.
  2. Demande-leur de te donner des mots commençant par les différentes lettres de l'alphabet.
  3. Choisis au hasard la lettre D et vois ce qui sort.
  4. Tu obtiens par exemple "décheance" et "dentier".
Le jeu dure deux heures, deux heures à l'issue desquelles tu comprends parfaitement le sens du mot "foutage-de-gueule". Avec un F. (Organisé pas l'Etat. Avec un E.)

Tu écoutes, les tripes à l'envers, tes collègues hilares te raconter comme elles ont ri le jour où Monsieur B. s'est étalé sur le sol fraîchement lavé de la cuisine, et comme elles ont ri encore plus à le regarder tenter de se relever, pendant vingt bonnes minutes, pour retomber ventre à terre à chaque fois. "Comme une tortue, si si".

Tu connais maintenant l'odeur de la merde.
Tu peux donc démissionner.
Tu repars simplement avec une question : à quel profondeur se situe le fond de la connerie humaine?





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