A force de naviguer à vue sur le vaste mais houleux marché de l'emploi, tu as fini par mettre le cap sur une orientation professionnelle : les métiers du Livre.
Félicitations, moussaillon.
Pour arriver à bon port, tu suis désormais une formation spécialisée, qui te laisse le choix entre trois grands domaines : l'édition, la librairie et les bibliothèques. Et aujourd'hui s'offre justement à toi l'opportunité de lorgner du côté du premier domaine, en travaillant pendant toute la durée du Salon du Livre sur le stand des éditions Grasset.
C'est donc Porte de Versailles que tu jettes l'ancre en ce mois de mars, gibouleux comme un mois de mars (si tu ne me crois pas, va vérifier dans le dictionnaire).
Entre le montage des stands et le déballage des bouquins, tu files t'acheter une tenue décente pour le grand événement du Salon : la Soirée d'inauguration. (Je précise pour les non-affranchis : soirée d'inauguration = soirée réservée aux gens du Milieu. Tu auras reconnu au passage l'imitation saisissante d'Al Pacino.)
Vêtue de ton plus beau pantalon H&M et de TA paire de chaussures à talons (qui soulignent ta classe folle et ton élégance naturelle), tu prends la pose et ton poste au coin avant-gauche du stand, chargée d'une mission suprême : la lutte contre le vol.
(Petit apparté ludico-pédagogique : remplace "la pose" par "racine", et tu auras une vision plus juste de ce qui t'attend cette semaine.)
Des vols pendant la Soirée d'inauguration? Oui moussaillon, c'est même le jour où il y en a le plus : auteurs et éditeurs sont restés de grands enfants et n'aiment rien tant que se piller les uns les autres. La recette est simple : prends quelques centaines de litres de champagne, saupoudre d'un zeste de cocaïne, ajoute quelques histoires de fesses à base d'attachées de presse, verse une bonne dose de courbettes et autres mondanités, secoue pendant quatre heures : tu obtiens une formidâââble Soirée d'inauguration du Salon du Livre.
Le deuxième temps fort de la semaine, c'est la venue sur ton stand d'une véritable star, le philosophe à la sempiternelle chemise blanche, j'ai nommé : BHL.
Mais la menace-guette-le-danger-qui-menace-entends-tu-au-loin : en raison de sa récente prise de position en faveur des caricatures de Mahomet, Grasset (dont les éditeurs n'ont pourtant rien picolé depuis trois bonnes heures) redoute une possible attaque d'Al-Quaida. Sur BHL. Si si.
Branle-bas de combat donc pour préparer la signature de son dernier essai : on déplace les meubles (à ce stade du Salon, tu t'inclues dedans) afin de garantir une surveillance plus étroite et par conséquent une meilleure protection à la potentielle cible.
Or pourtant, s'il est un ennemi de BHL, c'est bien la crème Chantilly. (Mais bon, moi j'dis ça, j'dis rien.)
Enfin le Prince arrive, tout de chemise blanche entrouverte sur torse imberbe vêtu, prend place dignement, entame sa séance de dédicaces et... se ramasse une tarte à la crème en pleine poire. Dignement.
Le coupable est à terre, plaqué par quatre gorilles déchaînés, tandis qu'un peu plus loin, l'Entarteur belge se bidonne en chantonnant son slogan : "Entartons, entartons, les pompeux cornichons!"
Mais le Cornichon en question n'est pas homme à se laisser humilier, et décide de poursuivre (après avoir échangé sa chemise blanche contre une autre chemise blanche) sa séance de dédicaces.
Le Cornichon se rassied.
Inspire.
Sourit.
Pour finalement reprendre sa signature et une seconde tarte à la crème.
Sur ce, le Cornichon se lève et déclare que c'en est assez. Tu viens d'assister au sixième et septième entartage de BHL, et tu ne peux contenir une pensée émue pour ses gorilles, prêts à combattre Al-Quaida mais terrassés par la Chantilly.
Le reste de la semaine s'écoule au rythme des signatures moins épiques mais tout aussi pathétiques d'un certain nombre d'auteurs, parmi lesquels tu te fais un plaisir de citer :
- Daniel Picouly : celui-ci acceptera la larme à l'oeil le cadeau d'un admirateur (un livre ancien visiblement chargé de valeur pour ledit admirateur), cadeau qu'il te demandera de jeter le soir venu.
- Yves Simon : en pleine signature entre une bombe atomique et une grand-mère tremblotante, il demandera (le mot juste est "héler", mais c'est laid. Passons.) à la bombe atomique de revenir avec son livre fraîchement signé pour y ajouter son numéro de portable.
- Gonzague Saint-Bris : lui n'hésitera pas à passer dix minutes au téléphone devant ses lecteurs impatients (ça leur apprendra à lire du Gonzague Saint-Bris).
- François Weyergans (fraîchement "goncourtisé") : les éditeurs affolés le chercheront pendant plus d'une demi-heure. Pas d'inquiétude : il s'appliquait juste à prendre la cuite du siècle en compagnie d'une charmante attachée de presse, au bras de laquelle il repartira quelques heures plus tard, sans avoir signé un seul bouquin.
Et tant d'autres...
Alors si toi aussi tu as des préjugés sur le Milieu de l'édition littéraire, si tu es libre fin mars et que tu passes près de la Porte de Versailles, surtout n'hésite pas : tu en ressortiras convaincu qu'une fausse idée peut être vraie.
NB : Petit message à l'attention des éditions Grasset (qui lisent régulièrement ce blog, qu'est-ce que tu crois) : j'aime beaucoup ce que vous faites.
Alors si toi aussi tu as des préjugés sur le Milieu de l'édition littéraire, si tu es libre fin mars et que tu passes près de la Porte de Versailles, surtout n'hésite pas : tu en ressortiras convaincu qu'une fausse idée peut être vraie.
NB : Petit message à l'attention des éditions Grasset (qui lisent régulièrement ce blog, qu'est-ce que tu crois) : j'aime beaucoup ce que vous faites.
C'est plutôt une expérience sympa, quelle chance de fréquenter la crème !! Perso, j'ai eu un boulot d'été qui consistait à peser des gros camions à la sortie d'une carrière, avec quasiment pas de poussière et des gros routiers sympas. j'espère que tu as des autographes de tous ces gens-là ;-)
RépondreSupprimercharly le prof